vendredi 14 février 2014

Quelle place pour le père au sein du couple aujourd'hui ou Comment la paternité vient-elle aux hommes?

« Papaoutai ? »  -  STROMAE


Si l’on se pose cette question dans ces termes, c’est bien que la place du père a évolué à travers les siècles et tout particulièrement ces dernières décennies.
Un bref retour sur le passé s’impose donc pour nous aider à comprendre les mutations qui se sont opérées quant à sa place et tenter de comprendre ce que la société, et en particulier les mères attendent de lui aujourd’hui.


Le rôle du père et son pouvoir lui étaient autrefois conférés automatiquement par sa place de « chef de famille ». C’est lui qui assurait la reproduction sociale et économique de la famille alors que la mère était chargée quant à elle de l’entretien des besoins biologiques et domestiques. Autrement dit, c’est lui qui rapportait de quoi faire bouillir la marmite et transmettait son nom et son patrimoine, tandis que la mère s’occupait de la maison et de l’éducation des enfants. Les rôles de chacun étaient bien délimités. La grossesse et l’accouchement étaient quant à eux, du domaine exclusif de la femme. L’homme n’y était pas impliqué.

Durant le 20è siècle, la famille et la paternité vont subir des changements considérables. L’évolution des sociétés modernes se caractérise entre autre par la diminution progressive du pouvoir social dévolu au père.
En 1935, la loi sur l’abolition du « droit de correction » met fin à 19 siècles de violence des pères envers les enfants. La figure sociale du père « sévère » est en déclin.
Les mouvements d’émancipation féminine générés par mai 68 sont l’occasion d’une remise en question fondamentale de l’autorité. La loi du 4 janvier 1970 abolit la puissance paternelle au profit de l’autorité parentale. Sur le plan éducatif, cette réforme juridique donne un pouvoir égal à chaque parent. C’est la mort du « pater familias ».

Le rôle du Père ne découle donc plus comme autrefois de sa fonction. Nous sommes passés de la paternité institutionnelle à la paternité relationnelle.
La femme peut quant à elle, accéder aujourd’hui aux mêmes fonctions que l’homme. Par ailleurs, de plus en plus de femmes seules sont contraintes d’assurer à la fois le rôle du père et de la mère. La fonction paternelle a perdu de sa spécificité. La complémentarité traditionnelle n’a donc plus trop de légitimité.
Pour les hommes, les repères se brouillent. Leur place n’est plus acquise. Ils doivent désormais faire leur place dans le couple auprès des enfants. On ne naît plus Père, on le devient. Et justement, comment devient-on père alors ?

Si la maternité est une évidence pour les futures mères qui vivent dans leur corps une véritable transformation, devenir père pour un homme est autrement plus compliqué ;  la paternité étant avant tout dans un premier temps, théorique, intellectuelle. Ils ne vivent   aucun changement physique durant la grossesse et l’accouchement. La paternité se fait dans une temporalité différente de la maternité.
Ne se passant pas par le corps, pour les hommes, pour que la paternité puisse prendre place il faut qu’elle soit nommée par la future mère. Le père ainsi reconnu et désigné va alors pouvoir investir ce rôle.

On réalise à partir des années 70 combien il est important d’associer le futur père à cette naissance, dès l’annonce de la grossesse. Jusque là, les pères vivaient la grossesse de leur compagne dans une grande solitude. En quelques années, nous sommes passés des pères « absents » qui n’avaient pas même accès aux salles d’accouchement, aux pères dont la présence était souhaitée partout, et ce, dès le début de la grossesse : lors des différents examens médicaux, échographies, préparation à l’accouchement, salle de naissance. Dans les années 80, la communication affective débute dès la grossesse entre le père, la mère et le bébé. L’haptonomie (mise au point par Frans Veldman après la seconde guerre mondiale) connaît son plein essor. Cette méthode qui favorise par le toucher, l’échange entre le bébé et son père, permet de l’inclure pleinement à la grossesse.

Si les pères sont invités à assurer leur rôle dès le début de la grossesse, le champ de la paternité n’est cependant plus aussi clairement circonscrit qu’autrefois. Le père est aussi aujourd’hui, celui qui donne le biberon, change la couche, joue avec ses enfants. On l’incite de plus en plus à avoir des fonctions maternantes. Nous sommes passés d’une caricature à une autre, d’une différenciation à une indifférenciation aussi extrêmes » souligne Claude Halmos, psychanalyste. Une nouvelle image est colportée par les médias. Il s’agit des « nouveaux pères ». Ne sachant plus quelle place adopter ni quel rôle tenir, les pères ont tendance à imiter les mères. « Il ne faut pas toutefois assimiler ce que l’on a un peu hâtivement surnommé « les papas poules » à des « mamans bis ». La difficulté est bien de prendre sa place dans le duo Mère-Enfant, sans singer la mère, tout en restant soi-même, c’.à.d., homme viril alors qu’on intervient en jouant un rôle effectué autrefois par des femmes » - C. CASTELAIN-MEUNIER – Sociologue, Chargée de Recherches au C.N.R.S.
Or, c’est important pour l’identité et l’équilibre psychique de l’enfant de sortir de cette confusion des rôles. Du père et de la mère, quelle est alors la place de chacun dans la construction psychique de l’enfant ? Entre autorité et maternage, comment pourrait-on définir la fonction paternelle aujourd’hui ?

Si être mère consiste à donner la vie, être père consiste à donner le sens, c’.à.d. la direction.
Pour Freud et la théorie psychanalytique, la mère est dans la fusion avec son enfant. Son rôle est d’assurer la sécurité affective. Quant au père, il a pour mission, outre d’être le représentant symbolique de la loi, d’être celui qui va aider l’enfant à accepter les renoncements pour grandir. Il a pour mission de séparer l’enfant de sa mère.
L’enfant a avant tout, besoin d’un père qui lui transmette des valeurs, lui pose des limites et des interdits tout en renonçant à sa toute-puissance.
Et du point de vue des mères ?
Elles attendent des pères qu’ils fassent preuve d’autorité et sachent s’imposer aux yeux des enfants. Mais qu’ils se montrent aussi patients en leur laissant le temps dont elles ont besoin pour sortit de leur rôle uniquement maternant et retrouver leur place d’amante dans le couple.
Entre « Père-Fouettard » et « Père-Copain », pour trouver leur nouvelle place et assumer leurs nouvelles fonctions parentales, les hommes ont surtout et avant tout, besoin du soutien des mères et inversement.

Aujourd’hui, l’évolution des sciences biomédicales change les critères de désignation des pères. Nous sommes faces à des nouveaux modes de filiations paternelles (Fécondations In Vitro, Insémination Artificielle avec Donneur).
Par ailleurs, la famille, cellule de base de la société est en perpétuel mouvement.
La famille du XXI è siècle ne ressemble plus du tout à celle des siècles précédents. Le mariage n’a plus la cote, les naissances hors mariage sont majoritaires, un couple sur deux se sépare. Entre familles « traditionnelles », familles monoparentales, homoparentales, recomposées, l’enfant va de plus en plus au cours de son existence, être amené à vivre dans des types de familles différents.

La question se pose parfois de savoir qui désigne-t’on comme père : Le géniteur ? L’éducateur au quotidien ? la personne qui fait office de figure paternelle symbolique ?
Dans le cas de la monoparentalité (un seul parent) ou de l’homoparentalité (deux parents du même sexe), quelle est l’incidence sur le développement psychique de l’enfant si les 2 figures paternelles et maternelles ne sont pas représentées ? Certains psychiatres préfèrent dans ce cas, parler de référence masculine et féminine, gageant que si l’enfant ne les trouve pas à l’intérieur du couple (ou non couple) que forment ses parents, il trouvera cette référence manquante dans son environnement (familial, amical, scolaire, etc.)

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas confondre l’idée que chacun peut se faire de la normalité et le rejet de la différence avec les besoins fondamentaux de l’enfant.
Les avis sur cette question qui fait grand débat aujourd’hui sont partagés et ce sujet n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre…
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Pour aller plus loin, si ce sujet vous intéresse :

  • « Une place pour le père » - Aldo Naouri – Seuil – 02/1999 – 322 p – 25 € (Format poche à partir de 7,50 €)
  • « Histoire des Pères et de la paternité » - Collectif sous la direction de Jean Delumeau et Daniel Roche – Larousse – Collection In Extenso – 04/2000 – 550 p – 53 €
  • « La paternité » - Christine Castelain-Meunier – Format « Poche » - P.U.F. « Que sais-je? »127 p – 8,50 €
  • « Homme et fier de l'être » - Yvon Dallaire - Option Santé EDS - 2001 - 336 p - 19 €
  • "De mâle en père" - Frank Cézilly - Ed° Buchet-Chastel - 02/2014 - 280 p - 19 €

Modern papa  : Documentaire sur la parentalité et sur la place des Pères.
Diffusé Vendredi 18 juillet 2014 à  23 H 15 sur ARTE (Durée : 50 minutes)

  

Patricia Cattaneo
Conseillère Conjugale et Familiale à Grenoble

cattaneo.patricia@gmail.com
06 14 76 05 48