(Cette question nous interroge sur l’avenir de nos parents,
mais nous renvoie en même temps à notre propre vieillissement.)
A l'horizon 2030, en France, le nombre de personnes de plus de 85 ans sera multiplié par trois ou quatre. Dans une société fondée sur le culte de la performance, sur
la maîtrise et le contrôle de sa vie, la vulnérabilité fait peur. La dépendance
encore plus.
Accepter de devenir fragile et de lâcher-prise est tout un
art.
Imaginer sa
vieillesse et surtout sa perte d’autonomie reste un sujet tabou. Il semblerait
que l’on ait moins de mal à anticiper et organiser son décès, ses obsèques que
la prise en charge de sa dépendance.
Nul ne sait à quoi va ressembler notre fin de vie. Et c’est
bien là toute la difficulté. C’est même la raison pour laquelle cette question,
comme toutes celles pour lesquelles nous n’avons pas de réponse suscite de
l’angoisse. Donc tant que l’on est encore jeune et en pleine forme, on a
tendance à repousser le sujet le plus loin possible. En tant qu’enfant, il nous
est parfois difficile aussi d’imaginer nos parents, ceux-là mêmes sensés nous
protéger, incapables de se débrouiller seuls.
La logique veut que nous soyons confrontés à notre propre
vieillesse avant celle de nos enfants. Nous avons pour la plupart, le souci de
faire en sorte, le moment venu, de ne pas trop « peser » sur leur vie.
Or, le tabou qui pèse sur le lieu où l’on ira quand on sera vieux, est à la
source de bien des souffrances.
Pour se faire léger,
il y a donc urgence à sortir du non-dit, du déni et des tabous. Alors si on
commençait pour se faire, par oser
aborder, parents et enfants, cette question ensemble ?
Penchons-nous un peu sur l’évolution de notre société au
cours de ces deux derniers siècles. On constate non seulement que, le contexte
économique et sociologique a beaucoup évolué, mais surtout, que les modèles
culturels ont changé.
Ce qui pouvait sembler une évidence autrefois :
accueillir chez soi ses parents vieillissants (Il n’est pas rare que nous ayons
nous-même vécu enfant, avec l’un de nos grands-parents) ne l’est plus du tout
aujourd’hui. Dans la plupart des familles, les deux conjoints travaillent à
l’extérieur (et il leur est déjà souvent difficile de concilier travail et vie
de famille), les logements sont devenus plus exigus, les familles se sont éparpillées
sur le plan géographique, éclatées du point de vue de la cellule familiale
(familles monoparentales, familles recomposées), etc. Ces multiples facteurs
semblent à première vue, guère compatibles avec l’accueil chez soi de personnes
âgées dépendantes.
N’oublions pas non plus, que l’espérance de vie étant de
plus en plus élevée, les enfants sont eux-mêmes de plus en plus âgés au moment
où la question de faire face à la perte d’autonomie de leurs parents se pose.
Et ils éprouvent parfois eux-mêmes des difficultés.
Le rapport à la vieillesse diffère cependant en fonction des
cultures. Les personnes âgées n’occupent pas la même place en effet, en Chine
ou en Afrique, ou encore en Occident où la
culture est davantage centrée sur l’individu plutôt que sur la famille ou le
groupe. Les valeurs développées en Occident sont plutôt portées sur la réussite
et l’intérêt individuel, l’épanouissement personnel, la liberté, l’autonomie.
La vieillesse ne surgit
pas par surprise, elle s’installe progressivement. Les facultés baissent
peu à peu et l’autonomie devient de plus en plus restreinte. C’est la raison
pour laquelle il nous est parfois difficile de discerner à partir de quel
moment on n’est plus en mesure d’assurer seul notre sécurité.
On remarque d’ailleurs que cette question pose souvent plus
de problèmes aux enfants qu’aux parents eux-mêmes. Pour les enfants, imaginer
que ses parents ne sont plus en sécurité chez eux suscite de l’angoisse, à
l’idée notamment qu’ils pourraient tomber et se blesser. Cette situation
engendre alors un sentiment de
culpabilité. D'autant que derrière l’angoisse du risque, c’est l’angoisse de la mort qui
se cache…
Cette perte d’autonomie qui s’installe progressivement
nécessite une présence de plus en plus soutenue auprès des parents ;
présence assurée généralement dans un premier temps par les enfants (considérant qu’il s’agit le plus souvent pour
eux d’un juste retour des choses). Chacun des enfants n’étant pas en mesure
d’accorder la même disponibilité (selon l’âge, l’état de santé, l’éloignement
géographique, l’activité professionnelle, ou tout simplement l’envie...), cette
prise en charge est parfois source de conflit dans la fratrie.
Mais au fur et à mesure que la dépendance s’installe, l’aide
familiale n’est parfois plus suffisante. On n’a pas toujours conscience à quel
point c’est épuisant en effet, de s’occuper chaque jour d’une personne âgée de
plus en plus dépendante. Quand les rôles s’inversent, on réalise aussi à quel
point il n’est pas facile de devoir prendre en charge les soins intimes de ses
parents. Cet accompagnement exige de la part des aidants familiaux, non
seulement disponibilité en termes de temps mais aussi sur le plan émotionnel.
Conscients que l’état de santé de nos parents ne s’améliorera pas avec le temps,
il est aussi important pour nous enfants, de pouvoir respecter nos propres
limites en sachant passer le relai sans culpabilité avant que la relation ne se
transforme chaque jour un peu plus en relation de type
« soignant-soigné » et avant d’arriver à un état d’épuisement,
parfois source d’exaspération et de violence. C’est alors faire preuve de
sagesse que d’accepter de passer la main.
Notre société s’est organisée pour favoriser le maintien à
domicile des personnes âgées en mettant en place une assistance qui peut
revêtir différents formes, allant de la prise en charge du ménage, des courses,
du portage de repas, des soins à domicile, de la toilette, etc. Tous ces
services d’aides à la personne sont en fait le prolongement de la prise en
charge assurée autrefois par la famille. Pour les parents aussi, il s’agit de
lâcher-prise : d’accepter de faire confiance au personnel qui va à présent
les prendre en charge et surtout accepter de confier son corps à d’autres
mains. Du point de vue des enfants, cela permet de se rendre plus disponible et
de préserver la qualité du lien, plutôt que de s’épuiser à des tâches ingrates
et épuisantes, tant sur le plan physique que psychique.
Mais accepter de vieillir chez soi, c’est souvent accepter
de vieillir seul, voire traverser de longues périodes de solitude. Les proches
ne peuvent pas être là continuellement. Leur vie est souvent très remplie. Mais
c’est le prix que certaines personnes âgées sont prêtes à payer pour vieillir
chez elle.
Ce choix leur appartient et il est important de le
respecter. A nous de travailler le cas échéant sur les angoisses que cela peut
susciter chez nous.
Chaque situation familiale est tout à fait singulière et
unique. A chacun sa façon d’aborder cette question de la prise en charge de ses
parents dépendants. Qu’il s’agisse de l’accueil du parent chez soi, du maintien
à domicile avec l’aide des enfants, du maintien à domicile en faisant appel à
du personnel extérieur ou de l’admission en maison de retraite, il n’existe pas
une solution meilleure qu’une autre. Chacune présente des avantages et des
inconvénients. Par ailleurs, une option peut convenir un moment donné puis
trouver ses limites et nécessiter un autre relai au bout d’un certain temps. L’important est, et reste toujours, de pouvoir
parler de ce que ces différentes situations peuvent nous amener à vivre chacun.
Une fois de plus, si ces discussions ont été abordées bien en amont, cela
facilite les choses.
Malheureusement, s’agissant du placement en institution,
l’admission se fait souvent en situation d’urgence et à l’insu de la personne
elle-même, soit après un séjour en hôpital, soit pour des raisons de sécurité
physique ou morale, ou par épuisement des aidants familiaux. La majorité des
enfants qui placent leurs parents en maison de retraite attendent d’être
arrivés « au bout du rouleau… ».
Or entrer en maison de retraite
implique un changement de vie et d'environnement qui n'est jamais facile, surtout si cette décision ne fait pas l’objet d’un choix librement consenti. Elle est même parfois vécue comme un échec de
la part des aidants familiaux, obligés de reconnaitre leurs limites. Conscients que la perte d’autonomie va aller
s’accroissant, ce choix signe une fin inéluctable que l’on a peine à imaginer
et surtout à admettre. Les enfants font parfois croire à un placement
temporaire et réversible pour supporter le sentiment de culpabilité que cela
leur renvoie. Or, l’admission en maison de retraite n’est pas un abandon à
condition d’avoir pris le temps de bien préparer cette étape et si l’on est en
accord avec ce choix.
Si ce placement n’est pas préparé, la rupture risque en
effet d’être douloureuse. Par contre, si elle est anticipée et surtout, s’il y
a adhésion de la personne âgée à ce choix, l’adaptation a toutes les chances de
se faire dans de bonnes conditions. Il est primordial en outre, qu’une relation
de confiance s’établisse entre le résidant, sa famille et le personnel. Le
deuil du domicile pourra ainsi être compensé par la rupture de l’isolement et
l’instauration d’un lien social avec les autres pensionnaires.
Déchargé des tâches ingrates, cela permet à la famille
d’être plus disponible pour se concentrer sur l’essentiel, à savoir : le
lien intergénérationnel ; lien de qualité s’entend car on peut être
entouré de beaucoup de personnes et vieillir seul. Il est donc essentiel, non
seulement de s’assurer de l’adhésion du résident à ce nouveau projet de vie
mais aussi d’évaluer les qualités humaines véhiculées dans ce lieu. C’est
pourquoi, il est toujours préférable de prendre le temps de visiter plusieurs
structures afin de jauger dans quel lieu on va pouvoir se projeter. Rappelons
que cette décision appartient en dernier ressort, au résident.
Malheureusement, les enfants ont souvent tendance à imposer
leur propre choix en fonction de leurs propres angoisses ou par confort (cout,
proximité, etc). Attention toutefois à ne pas obtenir du parent, son
assentiment de manière déguisée en mettant en avant son devoir de soutien sous
forme de reproche ou en cherchant à obtenir son accord au moyen de la
culpabilité.
Remarquez que cette culpabilité peut s’exercer dans les deux
sens. Il arrive que le parent âgé qui n’accepte pas sa dépendance culpabilise à
son tour les enfants en mettant en avant leur devoir filial.
Concernant l’hébergement des personnes âgées, de nouvelles
prises en charge sont en marche, sous la forme notamment d’habitat partagé ou
collaboratif. Ces colocations intergénérationnelles reposent sur un échange de
services et ont pour objet de fédérer les besoins et les moyens entre les
occupants.
Quel que soit le mode d’hébergement pour lequel on opte, le
plus important est de pouvoir permettre à nos parents de vieillir dans un
environnement respectueux de leurs besoins profonds d’échange et de
considération, dans l’endroit qu’ils auront choisi.
Du point de vue de la personne âgée, l’entrée dans la
vieillesse et dans la dépendance se fait de manière très insidieuse et
progressive. La vie est jalonnée de deuils et de
renoncements. Plutôt que de subir cet état de fait en refusant de vieillir, si
bien vieillir commençait par accepter de faire le deuil des capacités que l’on
n’aura plus, accepter cette évolution irrémédiable du cours de la vie : lâcher
prise en acceptant de dépendre des autres, sans rancœur ni désespoir ? Pour les enfants, il s’agit de faire le deuil
des parents que l’on a connus avec des
capacités qu’ils n’ont plus aujourd’hui, tout en sachant reconnaitre ses
propres limites dans la prise en charge de leur dépendance.
Que ce soit à domicile ou en institution, vieillir peut être
une expérience heureuse à condition de rester en lien avec la vie et avec
l’entourage. Le plus important est donc bien la qualité du lien que l’on va
continuer à entretenir avec eux.
Mais ce qui est souvent le plus difficile pour les personnes
âgées n’est-ce pas au fond, l’image que leur renvoient parfois la société et
l’entourage : ce sentiment diffus qu’elles n’ont plus leur place et
qu’elles pèsent sur les autres.
On a tendance à associer dans notre société, perte
d’autonomie et perte de dignité. Citons à ce propos le philosophe E.
KANT : « Toute personne est digne, quel que soit l’état dans lequel
elle se trouve » et rappelons-nous que tous nos droits de l’homme sont
fondés sur cet impératif. Privées d’autonomie, les personnes âgées peuvent
donner et recevoir autre chose et autrement. Elles ont beaucoup à nous
apprendre et la force du lien intergénérationnel est un bien précieux à
préserver. Comme le dirait Marie de Hennezel, Psychologue, « Il est une
manière de vivre son avancée en âge comme une ouverture et non comme une
fermeture, quel que soit l’état dans lequel on se trouve. ». Le moment est
peut-être venu alors, de laisser place à l’homme intérieur au profit de l’homme
extérieur, autrement dit : gagner en dedans ce que l’on perd en dehors.
« Accepter ce que les personnes âgées nous donnent
au-delà des mots et des gestes, accepter de découvrir que ceux que l’on croit
aider sont ceux qui nous aident et ceux que l’on croit autonomiser nous
autonomisent » telle est la teneur du message que nous livre Sophie
Fontanel dans son témoignage émouvant :
« Grandir ». Le récit de Sophie Fontanel fait sauter toutes les
fausses idées que nous nous faisons de la dépendance.
Articles qui peuvent vous intéresser :
Et pour aller plus loin, si ce sujet vous
intéresse :
- « Grandir » de Sophie Fontanel - Robert Laffont– 2010 – 157 p – 17,50 € (Format Poche : 4,20 €)
- « Qu’allons-nous faire de vous ? » - Marie de Hennezel et Edouard de Hennezel – Carnets Nord – 2011 – 361 p – 19 € (Format Poche : 6,50 €)
- « La cause des aînés : pour vieillir autrement et mieux » - Catherine Bergeret-Amselek – Desclée de Brouwer – 2010 – 403 p – 20 €
- « Prendre soin de nos aînés, c’est déjà prendre soin de nous » - Pascal Champvert – Carnets Nord – 2012 – 144 p – 12 €
Documentaire : « Que faire de nos
parents ? » - Diffusé Mardi 2
décembre 2014 à 20 h 40 sur ARTE – Durée : 50 mn : cliquez ici pour plus d'informations concernant ce documentaire
Documentaire : "Et guérir de tendresse" - Prendre soin des personnes âgées accueillies en maison de retraite. Samedi 27 août 2016 à 19 heures sur FRANCE 5
Film : "La vie à l'envers" - Diffusé Mercredi 21 septembre à 20 h 55 sur FRANCE 2 (durée 90 mn) - Met bien en lumière la place des aidants familiaux. Ce documentaire sera suivi d'un débat sur la maladie d'Alzheimer.
Documentaire : "Et guérir de tendresse" - Prendre soin des personnes âgées accueillies en maison de retraite. Samedi 27 août 2016 à 19 heures sur FRANCE 5
Film : "La vie à l'envers" - Diffusé Mercredi 21 septembre à 20 h 55 sur FRANCE 2 (durée 90 mn) - Met bien en lumière la place des aidants familiaux. Ce documentaire sera suivi d'un débat sur la maladie d'Alzheimer.
Patricia Cattaneo
Conseillère Conjugale et Familiale à Grenoble
Conseillère Conjugale et Familiale à Grenoble
cattaneo.patricia@gmail.com
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