Selon le dernier rapport de l’Observatoire National du
suicide paru en 2016, près de 10 000 personnes décident chaque année, de
mettre fin à leurs jours.
Même si c’est un acte délibéré, on ne peut véritablement
parler de choix. Le suicide est un acte auquel on est conduit lorsqu’on ne voit
pas d’autre issue et que la douleur dépasse les ressources qui permettent d’y
faire face. On ne veut pas « mourir » mais « arrêter de souffrir et
trouver enfin l’apaisement».
Lorsque quelqu’un décide de se donner la mort, il laisse
dans son sillage, tout un ensemble de personnes : parents, conjoint,
enfant, frère ou sœur, ami, collègue complètement dévastés. C’est un cataclysme
pour les proches qui se demandent comment ils ont fait pour ne pas voir, pas comprendre,
pas réussi à empêcher ce passage à l’acte… Non seulement, cela les confronte à
une mort brutale, mais cette disparition va également les assaillir de
sensations complexes et de questionnements lancinants jusqu’à devenir parfois
une torture incessante. En cela, on peut parler de deuil traumatique. Par conséquent,
lors d’un suicide, la durée du processus de deuil se trouve considérablement augmentée
et toutes les phases du deuil sont exacerbées.
Tout d’abord, c’est un véritable choc, une réalité terrible
à laquelle l’entourage se trouve confronté dans le sens où, telle une mort
accidentelle, elle arrive dans la plupart des cas, sans prévenir, sans que l’on
ait pu s’y préparer. Mais la violence réside également dans le fait que dans un
cas de suicide sur deux, celui-ci a lieu au domicile et est par conséquent,
découvert par un proche. Comment alors sortir de sa tête, des images atroces
qui risquent de revenir régulièrement nous hanter sous la forme de flashs,
parfois récurrents ? A cela se rajoute l’inévitable enquête de Police,
parfois vécue comme une intrusion et une agression supplémentaire.
Un des premiers sentiments auxquels on est souvent
confronté, une fois l’état de sidération passé, c’est la colère : colère
contre la personne disparue, colère dirigée contre soi ou encore, colère contre
un ensemble de boucs émissaires…
La colère contre la personne qui a décidé de se donner la
mort est une des particularités du deuil après suicide. On en veut à cette
personne de nous mettre « délibérément » dans un tel état de
souffrance. De plus, ce qui peut sembler confus dans ce type de deuil, c’est
que celui qui donne la mort et la victime de cet acte se trouvent confondus. Comment
alors, éprouver en même temps de la haine vis-à-vis de l’auteur et de la
compassion pour la victime ? On peut être tenté de nier ou refouler ce sentiment
de colère qui nous encombre alors et nous culpabilise à la fois. Comment, en
effet, ressentir de la colère contre quelqu’un qui s’est lui-même infligé une
telle violence ? C’est pourquoi, il peut sembler moins douloureux, de diriger
cette colère contre soi, colère qui s’apparente dans ce cas, à de la
culpabilité. Mais cette colère peut aussi se focaliser contre un tiers :
médecins, conjoint, collègues de travail, etc. Cela nous soulage en effet, de
pouvoir imputer la responsabilité de cet acte à un bouc émissaire...
Le suicide est une énigme. L’entourage se trouve
soudainement plongé dans une quête incessante de sens. Cette mort est une énorme
remise en question sur un plan personnel et nous interroge sur la connaissance
que nous pensions avoir de l’autre et de la relation qui nous liait à lui. Pourquoi
a-t’il commis cet acte irréparable ? Comment a-t-on pu faire pour ne pas
mesurer la souffrance dans laquelle il était ? Qu’aurions-nous pu faire pour
empêcher cela ? Nous avons besoin d’explications et traquons pour ce
faire, le moindre indice. On passe son temps à réécrire l’histoire, entre les
« si » et les « pourquoi ». On élabore toutes sortes
d’hypothèses. Cette quête obsédante de sens est normale et fait partie
intégrante du travail de deuil jusqu’à ce que ces questions qui nous assaillent
deviennent moins prégnantes et finissent par s’épuiser. Nous sommes alors
obligés d’accepter notre impuissance et le fait que nos questions ne trouveront
probablement jamais de réponse définitive. Ce long cheminement jusqu’au lâcher
prise marque la fin d’une étape dans le déroulement du deuil.
Cette quête de sens est généralement associée à un sentiment
de culpabilité : qu’avons-nous fait ou pas fait pour en arriver là ? Le
suicide nous confronte à un sentiment d’échec très violent. Après le suicide
d’un enfant, les parents s’interrogent sur l’éducation donnée à leurs enfants.
Quels sont les manquements, les erreurs commises ? Cela les plonge dans un
état de profonde angoisse : Comment faire pour qu’un autre enfant ne
commette pas le même acte ? Faut-il durcir l’éducation ou au contraire
faire preuve d’un peu plus de souplesse ?
La culpabilité, au sens étymologique du terme « Etat de
celui qui est coupable », renvoie à l’idée de faute. Et qui dit
« faute », dit : punition, expiation. Or, on constate souvent
que les proches du défunt ont tendance à s’auto-condamner en s’interdisant
dorénavant tout plaisir. Ils se refusent
désormais à être heureux, à faire des projets et réinvestir leur propre vie.
Cela a pour conséquence d’accroître le repli sur soi et les plonge encore un
peu plus dans l’isolement. Le suicide s’accompagne parfois également, d’un
ébranlement de l’estime de soi et d’un sentiment de honte. Cette honte est liée
au regard que l’on porte sur soi. Mais aussi, quel regard les autres
portent-ils sur moi ? Moi qui n’ai pas su sauver mon enfant, retenir mon
conjoint, etc. On se sent tout à coup, peu de valeur : « Mon amour
n’a pas suffi à le retenir… ». Le suicide est alors vécu comme un rejet ou
un abandon délibéré. Cette exposition au regard social renforce un peu plus
encore la tendance à s’auto-exclure. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que
le suicide est encore souvent un tabou dans notre société. C’est quelque chose
qui reste mal accepté dans certaines religions. Du point de vue de la religion
catholique, ce n’est que récemment, que les personnes qui ont délibérément mis
fin à leur jour bénéficient sans différence de traitement, de funérailles
religieuses.
Il faudra en effet, attendre le canon 1184 du nouveau code
de droit canonique de 1983 pour ne plus voir mentionnés les suicidés parmi les
« pécheurs manifestes auxquels on ne peut accorder les funérailles
ecclésiastiques sans scandale public des fidèles ».
Par crainte de la stigmatisation sociale, on peut même être
tenté d’élaborer un autre scénario pour évoquer les circonstances du décès. Le
risque alors est que cette dissimulation se transmette de génération en
génération, se transformant en un empoisonnant « secret de famille ».
Or, une vérité douloureuse à entendre est toujours préférable à la conspiration
du silence. Il est plus sain, en effet, de nommer explicitement le suicide,
même face à de jeunes enfants à qui on peut avec tact expliquer la situation,
que de maquiller une vérité dans un souci de protection.
Mais parfois le suicide apparaît après une longue période de
tourment. Et cette épreuve a déjà impacté lourdement l’entourage. Peut-être
même, la personne n’en était pas à sa première tentative de suicide. Même si
cela est parfois douloureux à admettre, la mort peut alors être ressentie comme
la fin d’un calvaire pour les proches. Pour autant, ce soulagement s’accompagne
généralement d’un sentiment de honte et de culpabilité face à cet apaisement.
Un tel traumatisme a souvent pour effet un effondrement du
sentiment de sécurité. La peur des
endeuillés à être confrontés à un nouveau suicide dans leur entourage se trouve
décuplée. Cette peur irrationnelle risque d’impacter fortement la vie sociale. En
effet, par peur d’être une nouvelle fois abandonné, on préfère s’abstenir de
créer de nouveaux liens et s’engager à nouveau.
Le deuil après un suicide est un deuil particulier qui a
besoin d’être soigneusement accompagné. Il ne faut pas perdre de vue le fait
que l’état dépressif est amplifié. Le deuil pour la personne qui y est confrontée
peut être à ce point insurmontable, qu’elle soit tentée de rejoindre le
disparu. Il existe donc un risque suicidaire bien réel, majoré dans cette
période de grande fragilité.
Si la guérison vous parait inatteignable, si vous avez le
sentiment que jamais, vous ne verrez le bout du tunnel, osez demander de
l’aide. Un thérapeute sera en mesure de vous accompagner tout au long de ce
processus de deuil. Si vous êtes confronté à des images traumatiques et
récurrentes, sachez que des techniques telles que l’E.M.D.R. ou encore l’E.F.T.
sont d’un grand secours pour soigner ce stress post-traumatique.
Des associations telles « Phare Enfants
Parents » : www.phare.org, qui
accompagne plus particulièrement des parents d’adolescents (08.10.81.09.87) ou
encore « Jonathan Pierres Vivantes » www.anjpv.asso.fr peuvent vous venir en
aide, que ce soit au travers des suivis individuels ou des groupes de paroles.
Partager son vécu avec d’autres ayant vécu le même type de deuils peut être
salutaire pour dépasser le tabou, la tentation du silence et le repli sur soi.
L’association « Vivre son deuil » www.vivresondeuil.asso.fr a
notamment publié un livret en collaboration avec le psychiatre et
psychanalyste, Michel Hanus, pour aider les endeuillés à la suite d’un suicide.
Il est téléchargeable gratuitement sur www.deuilaprèssuicide.fr
Cette association propose également un accompagnement et des groupes de paroles
partout en France. (01.42.08.11.16.)
Le site « Traverser son deuil » conçu par le
psychiatre Christophe Fauré, propose aussi un soutien spécifique, avec des
informations pratiques (démarches à accomplir, associations, etc.) et, première
sur internet, un véritable accompagnement sur la durée : www.traverserledeuil.com
Si les parents,
conjoints, enfants osent de plus en plus demander de l’aide, n’oublions pas les
frères et sœurs et les amis qui souffrent parfois d’un manque d’accompagnement,
comme si leur douleur était moins légitime.
Accueillir et nommer ses émotions, reconnaitre et accepter
la colère, la honte, la culpabilité, cesser d’en vouloir à celui qui a mis fin
à ses jours, renoncer à trouver une explication, sont des voies qui permettent
de traverser peu à peu les étapes du deuil. Le chemin est parfois long mais il
y a toujours une lueur au bout du tunnel, à condition de se faire accompagner.
Et pour aller plus loin, si ce sujet vous
intéresse :
·
« Après le suicide d’un proche : vivre
le deuil et se reconstruire. » - Christophe Fauré – Albin Michel – 2007 –
208 p – 15,50 €
·
Documentaire diffusé dans l’émission « Le
monde en face » le 17 janvier 2018 - Réalisé par Katia Chapoutier, avec
des témoignages et des interventions des psychiatres Xavier Pommereau, spécialiste
de l’adolescence et de Christophe Fauré, psychiatre et auteur du livre
« Après le suicide d’un proche : vivre le deuil et se
reconstruire. » Ce documentaire est disponible en Replay sur France.tv
jusqu’au 17 février 2018.
E Emission "Ça commença aujourd'hui" : 10/09/2019 sur France 2 à 14 heures.
E Emission "Ça commença aujourd'hui" : 10/09/2019 sur France 2 à 14 heures.
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Patricia Cattaneo
Conseillère Conjugale et Familiale à Grenoble
06 14 76 05 48
cattaneo.patricia@gmail.com