dimanche 31 mai 2015

Se faire quitter par internet ou téléphone : quand les nouvelles technologies changent la façon de vivre la rupture

Aujourd’hui, modernité oblige, on se rencontre sur Meetic, on se like sur Facebook et on se quitte par simple texto. Le mail et le S.M.S. sont en effet devenus des moyens pratiques pour qui veut rompre en se réfugiant derrière un écran.


Abandonner sans regarder, ne pas voir le regard éperdu de celui ou celle qu’on délaisse, semble a priori plus confortable, explique Bruno Humbeek, psychopédagogue. "Cette manière de procéder permet de se voiler la face en échappant à celle de l’autre. En ne se confrontant pas à son regard, on diminue le risque de se laisser infléchir par ses réactions". Dès fois que, par contagion empathique, notre humanité serait mise à mal…

Ainsi, le téléphone (ou Internet) permettrait de se désengager sans trop de danger. Pas certain que ce soit aussi simple. En effet, une fois le texto expédié, cela n’empêche nullement notre imagination de faire son œuvre : les larmes réelles auxquelles on a pensé échapper vont vite être remplacées par celles que nous imaginons. Et ces pensées risquent d’être omniprésentes. Le bénéfice engrangé par cette attitude de fuite, risque alors d’être de courte durée…

Que dire de celui (ou celle) qui fait l’objet de cette rupture expéditive ? Il (elle) se retrouve seul(e) face à cette annonce, démuni(e) et ne sachant comment réagir, vu que le (la) principal(e) intéressé(e) n’est pas là pour en discuter…Impossible de réagir en direct ou d’exprimer sa colère face à l’autre. Cette pratique risque fort de l’amener à se percevoir comme quantité négligeable dont on peut se débarrasser d’un simple coup de pouce. Inutile de dire que pour l’estime de soi, l’effet est dévastateur.

Gérer une rupture amoureuse n’est jamais simple et les réseaux sociaux ne facilitent pas la tâche. Ils ont changé en effet, notre façon de vivre la rupture. Il ne suffit pas d’appuyer sur la touche « delete » de son ordinateur pour faire disparaître totalement l’autre de sa vie. Autrefois, lorsqu’on rompait, il suffisait de ne plus se voir, se téléphoner ou s’écrire. Mais les choses se compliquent un peu aujourd’hui, à l’heure du « tout numérique ». « Plus nous sommes liés à une personne, plus elle est investie dans nos vies 2.0 » souligne Yann Leroux, Psychologue. La vie à deux étant figée dans l’historique de sa vitrine numérique, la Toile nous empêche d’accomplir sereinement notre travail de deuil amoureux. Nous sommes confrontés à la nécessité de devoir instaurer un nouveau rituel de séparation, apprivoiser des nouveaux codes post-rupture. Aujourd’hui, la séparation ne doit plus seulement être vécue sur le plan physique, il faut également faire le ménage dans son existence virtuelle. Tout le travail psychique du deuil consiste à accepter que l’autre disparaisse » souligne Mickaël Stora, Psychologue. Il va donc falloir accepter de retirer son ex-compagnon (ex-compagne) de ses contacts, oter toutes les photos de couple avec lui (elle) et autres traces sur notre mur. Pour tourner la page, il faut passer au mode « bloquer ». Tout ce qui nous rappelle son image empêche en effet de cicatriser. De même que maintenir un contact via les réseaux sociaux complique le processus de guérison. « Il est d’ailleurs préférable que la personne quittée supprime tout avant l’autre » conseille Lisa Letessier, Psychologue. « Car dans la situation inverse, cela peut être humiliant ou dévalorisant. En outre, la personne quittée peut se sentir dépossédée de son rituel de deuil ». Pour la même raison, mieux vaut passer son statut Facebook de « En couple » à « Célibataire » en premier. Nombreux cependant, sont ceux qui se braquent à l’idée de se déconnecter, souligne encore Lisa Letessier (Psychologue). « Une rupture, c’est comme une petite mort. Cela renvoie à des angoisses archaïques. Lorsqu’on supprime l’autre de Facebook (de même lorsqu’on se voit supprimé), on annule l’existence de l’autre. On lui adresse le message suivant : « Pour moi, tu es mort virtuellement. Cela peut être vécu violemment ».

Attention toutefois après la rupture, à la tentation d’espionner la vie de son ex via les réseaux sociaux.
Selon une étude réalisée en 2012 par Véronika Lukacs, auteur d’une thèse intitulée : « Ruptures amoureuses et leurs conséquences sur Facebook », 90 % des utilisateurs de Facebook se servent du réseau social afin de garder un œil sur leur ex. Il peut être en effet très tentant de regarder par les fenêtres du web pour deviner le quotidien de son ex et spéculer sur ses états d’âme. « Nous succombons à la tentation de fouiller dans la vie de l’autre car nous n’avons plus de contrôle sur lui » souligne Yann Leroux (Psychologue). Facebook favorise en cela, l’observation passive, ou « suivi flottant ».On ressent un plaisir diffus alimenté par le sentiment de pouvoir maîtriser un peu ce que l’autre devient, loin de soi. Mais attention, cette tentation d’épier l’autre peut être à double-tranchant : on peut être rassuré à l’idée de constater qu’il (elle) ne se remet pas si bien que ça de la rupture. Mais on prend aussi le risque de constater qu’il (elle) s’accommode très bien de la séparation. Et même de se voir le témoin de son bonheur affiché avec son nouveau copain (sa nouvelle copine) sur les réseaux sociaux. Face à cette nouvelle existence fabuleuse, il peut être tentant de renchérir en se mettant soi-même en scène dans une posture encore plus fabuleuse, alors que dans la réalité on peine à se remettre de cette rupture. Continuer à espionner son profil frise alors parfois le masochisme. Cette descente aux enfers prend des allures de cyber-torture. Et l’on risque d’entrer dans une compétition malsaine, alimentée par des commentaires et des photos équivoques mais créés de toute pièce pour ne pas perdre la face et blesser l’autre à hauteur de notre blessure.

On l’a vu, maintenir le contact via les réseaux sociaux complique le processus de guérison. Cela revient à subir sans cesse une piqûre de rappel de sa vie passée et empêche le travail de deuil de s’accomplir complètement.

Articles qui peuvent vous intéresser :



Patricia Cattaneo
Conseillère Conjugale et Familiale à Grenoble
cattaneo.patricia@gmail.com
06 14 76 05 48