samedi 6 février 2016

Le démon de midi

« Ils m’entrainent au bout de la nuit
Les démons de minuit
Ils m’entrainent jusqu’à l’insomnie
Les fantômes de l’ennui »

Emile & Image

Saviez-vous que l’expression « Le démon de midi » trouve son origine dans la Bible ? On le retrouve pour la première fois dans le verset 6 du Psaume 91 de l’Ancien Testament. Le démon de midi évoque alors les fléaux qui frappent les hommes en pleine nuit ou en plein midi. A partir du XVII è siècle, cette expression prend une autre signification et devient : « le péché de chair frappant les hommes à un âge avancé. »


Aujourd’hui, on pourrait définir le démon de midi comme une pulsion irrépressible, à l’approche de la cinquantaine à se lancer dans une (des) nouvelle(s) aventure(s) amoureuse(s) de préférence avec un (des) partenaire(s) plus jeune(s) après une vie conjugale équilibrée et sécurisante mais devenue trop monotone. Jusqu’à très récemment, on estimait que seuls les hommes pouvaient être gagnés par le démon de midi. Cela demanderait à être vérifié !

Hommes et Femmes, sommes-nous donc tous susceptibles de succomber aux charmes du démon de midi ?

Le démon de midi s’invite généralement au mitan de la vie, au moment même où hommes et femmes sont censés avoir trouvé l’équilibre et la plénitude dans leur vie. Ils ont atteint un point culminant de leur existence et ont accumulé tous les signes tangibles de réussite : que ce soit sur le plan professionnel, où il n’y a, la plupart du temps, plus de grands bouleversements à attendre ou encore sur le plan familial (les enfants sont élevés). Tout est bien en place. Sauf que, dans une vie trop bien réglée on finit parfois par s’ennuyer ferme dans une vie conjugale devenue trop routinière. L’existence est devenue terne et monotone, sans surprise. On a même parfois l’impression d’être devenu transparent, de ne plus compter aux yeux de l’autre ; quand il n’est pas devenu l’objet de toutes nos frustrations…

Au même moment, c’est une phase de vie où nous sommes traversés par ce que l’on a coutume d’appeler « la crise existentielle du milieu de vie ». Cinquante ans, c’est l’âge des grands bouleversements. Les changements physiques et les remaniements psychologiques générés par l’andropause et la ménopause sont là pour nous le rappeler ;  Le miroir de moins en moins complaisant nous renvoie l’image d’un corps qui commence à montrer les premiers signes de faiblesse : rides, kilos en trop… nous nous voyons vieillir. Et tout le monde n’appréhende pas le poids des ans de la même manière. Il faut dire que nous n’avons pas tous non plus le physique et le charisme de George Clooney qui, d’après les sondages, voit son potentiel de séduction s’accroître auprès des jeunes au fur et à mesure qu’il vieillit !

A mi-parcours, l’homme se surprend donc à jeter un coup d’œil dans le rétroviseur et à faire le bilan de ce premier mitan dans tous les secteurs de sa vie. Le bouton « arrêt sur image, étant enclenché, il est soudain assailli par une multitude de questionnements : Tout comme au moment de l’adolescence, le mitan de la vie nous renvoie en effet, à une multitude d’interrogations sur notre identité : « Suis-je satisfait de mon existence ? Ai-je atteint les buts que je m’étais fixés ? Qu’ai-je fait de mes rêves ? A quoi ai-je renoncé ? Sur le plan de la famille et du travail, les dés sont généralement jetés. Difficile de faire marche arrière ou de changer de trajectoire.Et sur le plan de la relation de couple ?  Où en sommes-nous ? On prend tout à coup la mesure de l’écart entre nos rêves et la réalité du quotidien. Et il arrive que l’on soit saisi par l’angoisse d’être passé à côté de sa vie. Le désir émerge alors de se recentrer sur ses valeurs profondes. Une envie pressante de vivre quelque chose de fort peut même surgir, surtout si dans cette période charnière on réalise qu’on n’est plus tout à fait satisfait de sa vie conjugale. Tous les ingrédients sont ainsi réunis pour être happés par le démon de midi avec une pulsion irrépressible à vivre intensément les années à venir, voire de vivre plusieurs vies dans une seule. Et l’envie de mettre un peu de piquant dans une vie conjugale devenue trop routinière peut se présenter comme un véritable appel d’air. Le mirage est si beau qu’il devient difficile de lui résister.

Si les femmes comme les hommes peuvent succomber à ce syndrome diabolique, il semblerait toutefois que les femmes ne vivent pas de la même façon ce passage, pour des raisons biologiques et sociales. Aux abords de la cinquantaine, l’homme a besoin d’être rassuré sur sa virilité, dans  son intégrité d’homme. Il a besoin de vérifier qu’il est encore capable d’assurer !Mais il a aussi besoin de se sentir valorisé, et ne pas se sentir continuellement dénigré. Au fil des années, il est parfois devenu l’homme à tout faire de la maison et est de moins en moins regardé comme un amant. Quant aux femmes, elles sont souvent angoissées par le temps qui passe et la décrépitude.Elles craignent de ne plus être désirables, dans une société qui cultive le jeunisme et où la publicité associe la femme séduisante à la femme jeune. Par ailleurs, nombreuses sontcelles qui associent l’arrêt de la maternité (généré par l’arrêt des règles) à la perte de la féminité.  Elles ont parfois du mal à se réapproprier ce corps qui se transforme et cette nouvelle image d’elles-mêmes que leur renvoie le miroir. Tout comme les hommes, ellessont souvent devenues celles dont on attend tout à la maison et se sentent de moins en moins regardées comme amantes. Par conséquent, les femmes ont besoin de réaffirmer leur féminité et surtout de se rassurer et se prouver qu’elles sont encore capables de séduire.
Hommes comme Femmes, en cherchant à conquérir un partenaire plus jeune s’affranchissent d’une vie conjugale devenue terne et sans surprise. Mais ils (elles) se sentent surtout flatté(e)s dans leur égo et renarcissisés alors qu’ils (elles) avaient le sentiment d’être devenu(e)s transparent(e)s à la maison...

A travers ce passage à l’acte, tout redevient possible. Évanouies les contraintes du quotidien. On se demande, d’un air désabusé comment on a pu supporter jusque-là une existence aussi fade. La vie retrouve du piment. On se sent plein d’énergie et on a l’impression de vivre un rajeunissement spectaculaire. La femme est rassurée sur ses capacités à séduire et l’homme a retrouvé sa virilité.

Sans tomber dans le schéma (il arrive bien évidemment que malgré la différence d’âge on soit en proie à une véritable histoire d’amour) peut-on véritablement parler d’amour ou s’agit-il d’une illusion ? Quand un compliment, un regard nous bouleversent au point de tomber aussitôt amoureux et d’en perdre la raison, peut-être est-ce le signe d’unnarcissisme défaillant…Par ailleurs, si le fait de vivre cette relation cachée participe à redonner du peps dans son existence morne, il faut peut-être s’interroger.

Lorsqu’on ne peut pas vivre son histoire d’amour au grand jour, cela provoque généralement un sentiment de tristesse. Par contre, quand la clandestinité attise les flammes de la passion, lorsqu’on est obligés de jongler avec les horaires, de trouver des alibis, se cacher et que l’on se retrouve dans le même état d’excitation que lorsque, adolescent(e) nous devions nous cacher de nos parents, nous ne sommes vraisemblablement pas dans une véritable histoire d’amour.

Plus encore qu’un véritable amour de l’autre, l’un comme l’autre seront surtout amoureux « de leur jeunesse retrouvée » comme le souligne Sylvie Brunel ex-femme de notre ministre Eric Besson, délaissée pour une jeune rivale : « Pris d’une peur panique, celle de la senescence, ils craquent. Et diluent leur propre vieillesse dans la jeunesse d’une autre. »
Que se passe-t-il par contre, si cette relation est tout à coup officialisée et vécue au grand jour ? La bulle amoureuse que l’on s’était construite risque fort de perdre de son charme et de retomber aussitôt comme un soufflé. Face à cette nouvelle réalité, il se pourrait même que l’on soit amené à regretter sa vie d’avant et le confort affectif que cette relation de couple nous offrait. En retombant sur terre, il arrive qu’on réalise à quel point on partageait quand-même avec notre partenaire, des valeurs et une vision du monde, communes. On redécouvre que nous avions encore des projets ensemble, enfouis sous les obligations quotidiennes qui avaient fini par occuper tout le terrain. Et l’on redécouvre surtout que le feu couve encore sous la braise…Les sentiments pour l’autre sont encore vivaces. Et s’il est d’accord, peut-être n’est-il pas trop tard pour redémarrer à zéro, mais cette fois, sur de nouvelles bases…

Si vous êtes sur le point de succomber au « démon de midi », avant de prendre le risque « de tout envoyer balader », chose que vous risqueriez peut-être de regretter par la suite, prenez une pause et réfléchissez  avec discernement, au sens de ce passage à l’acte.Qu’est-ce qui est en train de se jouer pour vous à cet instant ? Ou qu’est-ce-qui ne vous convient plus dans votre vie de couple ?
Si vous êtes déjà tombé dans le miroir aux alouettes et que vous en êtes revenu, peut-être que ce passage à l’acte avait pour objet de déclencher un électrochoc afin de vous obliger à faire le bilan et redynamiser votre relation de couple. A force de vivre ensemble, on finit par ne plus se voir. Mais si se perdre de vue permet de mieux se retrouver et retrouver une vie affective plus harmonieuse, le résultat risque d’être à la hauteur de vos attentes.

D’après un sondage IPSOS de 1997, la surprise, la fantaisie et les sensations fortes sont les éléments qui manquent le plus aux Français dans leur vie de couple. Je vous invite donc à lire (ou à relire) l’article de mon blog sur le thème « La routine est-elle (in)évitable dans le couple ? » paru le 15/06/2014.

Quand au mitan de la vie, Eros et Thanatos s’affrontent cela crée parfois bien des étincelles et des bouleversements. Les prises de conscience peuvent être douloureuses. Cela nous oblige à mettre le bouton sur « pause », à faire le tri dans nos valises pour nous délester de ce qui ne nous convient plus et  nous recentrer sur nos besoins et nos valeurs, sans pour autant dans la précipitation, jeter le bébé avec l’eau du bain… C’est enfin, accepter les renoncements, sans jugement. Et c’est surtout, renoncer au mythe de la jeunesse éternelle. Mais si c’est le prix à payer pour vivre heureux les cinquante prochaines années, alors le jeu en vaut la chandelle !


Et pour aller plus loin, si ce sujet vous intéresse :

  •          « Le démon de midi » - Paul-Laurent ASSOUN – Psychanalyste- Ed° de l’Olivier – 2008 – 144 p – 10,10 €

  •          « Manuel de guérilla à l’usage des femmes » - Sylvie Brunel (ex-femme de notre Ministre Eric Besson) – Ed° Grasset – 2009 – 280 p – 18 €

  •          « Démons de midi » - Arièle BUTAUX – Ed° Archipel -  2013 – 200 p – 17,95 €

  •           « Le démon de midi : ou Changement d’herbage réjouit les veaux » - Florence Cestac – 2005 – 60 p – 14 €

  • « Le démon de midi » (BD de Florence Cestac) a été adapté au théâtre par Michèle Bernier et a donné lieu au film paru en 2005 : Comédie-Romance – durée 1 h 30 – (Avec Michèle Bernier).
  • Emission "Toute une histoire" - France 2 : Le démon de midi - 27/03/2015




 Patricia Cattaneo
Conseillère Conjugale et Familiale à Grenoble

cattaneo.patricia@gmail.com
06 14 76 05 48